11 novembre 2006
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18:04
Voici un (bout d') article sur l'éruption musicale à la Reunion que j'avais lu sur le net, je l'avais trouvé interessant donc je vous en fait part...
De la scène réunionnaise, certains connaissent le maloya brut de Danyel Waro et d’autres le ragga potache de String Color. Deux extrêmes qui illustrent les différentes facettes de la production discographique en pleine évolution sur cette île française située en plein cœur de l’océan Indien
Une chanson de l’océan Indien en tête des ventes de singles en France ? Difficile à imaginer. Lorsque l’improbable se produit à la fin de l’été 2005 et que le groupe seychellois Dezil fait carton plein avec San ou (la rivière), une chanson qui n’a rien de plus ni de moins que de nombreuses productions sorties des studios de cette région du monde, on se dit que cela va générer un effet d’entraînement, susciter de réels espoirs dans les milieux musicaux des îles voisines, réveiller des ambitions qui relevaient jusqu’alors du fantasme inavouable et déraisonnable. Mais bizarrement, le phénomène Dezil passe inaperçu à La Réunion. A la même époque, sur ce département français d’outre-mer, les regards sont tournés vers la métropole et le château de la Star Academy qui accueille une pensionnaire réunionnaise. Pendant près de trois mois, toute l’attention de l’opinion publique et des médias locaux est monopolisée par les aventures d’Émilie dans le célèbre téle-crochet diffusé par TF1. A défaut d’être parvenu en finale, la malheureuse candidate sait toutefois qu’elle peut compter sur le public de son île pour débuter sa carrière. Même si les prétendants au succès y sont de plus en plus nombreux.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : en 1997, la production discographique réunionnaise s’élevait à 70 albums. Cinq ans plus tard, elle avoisinait les 300 albums et devrait se situer encore à ce niveau en 2005. Cette très forte progression reflète les récentes mutations structurelles qui ont bouleversé l’industrie musicale de l’île. Longtemps, elle a fonctionné suivant un schéma simple : Discorama, Piros et Oasis, les trois principales maisons de disques, se partageaient un marché qu’elles contrôlaient depuis l’enregistrement, grâce aux studios qu’elles possèdent, jusqu’à la distribution. Pour les artistes, aucun salut n’était envisageable en dehors de cette voie.
Mais cette situation figée a brusquement explosé avec l’avènement de la technologie numérique. Le matériel est devenu accessible, les home-studios se sont multipliés et la logique d’auto production, impensable auparavant, s’est alors imposée comme une alternative crédible. Aujourd’hui, si elle représente environ 40% de la production, c’est aussi parce que les collectivités locales sont disposées à verser des subventions aux groupes qui réalisent leur premier album.
Sur cette île de 750 000 habitants où près de la moitié de la population à moins de vingt ans et où le taux de chômage est trois fois plus élevé qu’en métropole, la musique occupe une place particulière. Déjà, au début des années 90, le conseil général s’était distingué en créant les CES (contrat emploi solidarité) musique et finançant ainsi 400 jeunes musiciens. Mais ils sont peu nombreux à La Réunion à pouvoir vivre de leur art. A l’insularité s’ajoute une autre contrainte : l’isolement géographique. Paris est à 10000 kilomètres et seuls les poids lourds de la scène réunionnaise tels que Danyel Waro, Ziskakan ou Baster, de retour au premier plan avec l’album Lèv, sont régulièrement appelés à jouer loin de chez eux. Sur place, le nombre de concerts et les ventes de disques restent naturellement limités.
Romantisme, sega et Bollywood
Avec son sega romantique, Dominique Barret a réalisé le meilleur score de l’année en écoulant plus de 10000 exemplaires de son album Si ou di oui. Le succès s’est même étendu à l’île Maurice, un fait exceptionnel qui montre que les efforts pour développer les liens entre les îles de la région et décloisonner les marchés sont peut-être en train de donner leurs premiers fruits. Parée de couleurs bollywodiennes grâce à la présence de la Mauricienne Meera Mohun, sa chanson Mon cœur épris s’inscrit également dans un courant très en vogue à La Réunion.
Depuis le début 2005, les émissions consacrées par RFO (Réseau France outre-mer) à la musique des films indiens ont généré et entretenu une véritable mode. Jusque dans le rap-ragga, à l’image de Dosti et La la la, signés par deux artistes qui font partie des meilleures ventes de l’année, Benjam et Atep. Ce dernier a même été repéré par une major du disque qui a timidement tenté de lancer l’artiste en métropole. En vain.
Le vent du zouk love venu des Antilles, qui s’était étrangement mis à souffler au milieu des années 90 en plein océan Indien, a été remplacé par le ragga dont la jeunesse réunionnaise est très friande. Originaire lui-aussi des Caraïbes, ce genre musical s’est adapté à son nouvel environnement pour devenir une “musique soleil”, légère. Quitte à tomber parfois dans une facilité aussi drôle que pathétique. Dans ce registre, String Color excelle. Après son tube de 2004 Ragga string ("Kafrine, quelle est la couleur de ton string ?") qui l’a amené dans le giron de la maison de disques Universal, le groupe a connu une belle réussite avec La Ficelle puis Chou à la crème, qui rivalisent de métaphores plus potaches les unes que les autres...
Diversité musicale
L’ouverture au monde de La Réunion, à travers la mondialisation et l’essor d’Internet, se ressent jusque dans la musique. "La diversité musicale ne cesse de s’affirmer", fait observer Alain Courbis, à la tête du Pôle régional des musiques actuelles (PRMA), une structure qui oeuvre au développement des musiques de l’île. Le reggae, le rock, le jazz et depuis peu l’électro ont été adoptés par de nombreuses formations, mais les styles traditionnels demeurent d’incontournables sources d’inspiration.
Entre le maloya, blues de l’esclavage aux origines culturelles afro-malgaches, et le sega, produit d’un métissage dansant avec les styles européens d’autrefois, le rapport de forces s’est inversé depuis 1981. Durant des décennies, le sega a régné en maître. Suspecté par les autorités politiques de véhiculer les revendications identitaires du Parti communiste réunionnais, le maloya se pratiquait dans la clandestinité. Dès qu’il a retrouvé droit de cité, il a tout à coup été érigé en symbole musical de la réunionnité. "Le musicien qui n’en faisait pas passait presque pour un traître !", raconte Alain Courbis. L’engouement ne s’est jamais démenti.
En 2004-2005, en l’espace de huit mois, le monde du maloya a perdu trois de ses aînés :le Rwa Kaf, Granmoun Lélé et Granmoun Bébé. Une génération qui sert de référence est en train de disparaître. La relève est là : Destyn, Kiltir, El Diablo Melanz Nasyon… Moins revendicative, elle essaie de donner à ses prestations une dimension spectaculaire comme le faisait Granmoun Lélé afin de supprimer cette impression de monotonie qu’elle dégage. Avec leur répertoire, ces jeunes artistes cherchent à projeter le maloya dans les musiques du monde pour lui donner une plus grande visibilité sur le circuit international. Apporter un peu de sang neuf sans dénaturer la tradition, c’est là que réside toute la difficulté de cette alchimie.
Une chanson de l’océan Indien en tête des ventes de singles en France ? Difficile à imaginer. Lorsque l’improbable se produit à la fin de l’été 2005 et que le groupe seychellois Dezil fait carton plein avec San ou (la rivière), une chanson qui n’a rien de plus ni de moins que de nombreuses productions sorties des studios de cette région du monde, on se dit que cela va générer un effet d’entraînement, susciter de réels espoirs dans les milieux musicaux des îles voisines, réveiller des ambitions qui relevaient jusqu’alors du fantasme inavouable et déraisonnable. Mais bizarrement, le phénomène Dezil passe inaperçu à La Réunion. A la même époque, sur ce département français d’outre-mer, les regards sont tournés vers la métropole et le château de la Star Academy qui accueille une pensionnaire réunionnaise. Pendant près de trois mois, toute l’attention de l’opinion publique et des médias locaux est monopolisée par les aventures d’Émilie dans le célèbre téle-crochet diffusé par TF1. A défaut d’être parvenu en finale, la malheureuse candidate sait toutefois qu’elle peut compter sur le public de son île pour débuter sa carrière. Même si les prétendants au succès y sont de plus en plus nombreux.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : en 1997, la production discographique réunionnaise s’élevait à 70 albums. Cinq ans plus tard, elle avoisinait les 300 albums et devrait se situer encore à ce niveau en 2005. Cette très forte progression reflète les récentes mutations structurelles qui ont bouleversé l’industrie musicale de l’île. Longtemps, elle a fonctionné suivant un schéma simple : Discorama, Piros et Oasis, les trois principales maisons de disques, se partageaient un marché qu’elles contrôlaient depuis l’enregistrement, grâce aux studios qu’elles possèdent, jusqu’à la distribution. Pour les artistes, aucun salut n’était envisageable en dehors de cette voie.
Mais cette situation figée a brusquement explosé avec l’avènement de la technologie numérique. Le matériel est devenu accessible, les home-studios se sont multipliés et la logique d’auto production, impensable auparavant, s’est alors imposée comme une alternative crédible. Aujourd’hui, si elle représente environ 40% de la production, c’est aussi parce que les collectivités locales sont disposées à verser des subventions aux groupes qui réalisent leur premier album.
Sur cette île de 750 000 habitants où près de la moitié de la population à moins de vingt ans et où le taux de chômage est trois fois plus élevé qu’en métropole, la musique occupe une place particulière. Déjà, au début des années 90, le conseil général s’était distingué en créant les CES (contrat emploi solidarité) musique et finançant ainsi 400 jeunes musiciens. Mais ils sont peu nombreux à La Réunion à pouvoir vivre de leur art. A l’insularité s’ajoute une autre contrainte : l’isolement géographique. Paris est à 10000 kilomètres et seuls les poids lourds de la scène réunionnaise tels que Danyel Waro, Ziskakan ou Baster, de retour au premier plan avec l’album Lèv, sont régulièrement appelés à jouer loin de chez eux. Sur place, le nombre de concerts et les ventes de disques restent naturellement limités.
Romantisme, sega et Bollywood
Avec son sega romantique, Dominique Barret a réalisé le meilleur score de l’année en écoulant plus de 10000 exemplaires de son album Si ou di oui. Le succès s’est même étendu à l’île Maurice, un fait exceptionnel qui montre que les efforts pour développer les liens entre les îles de la région et décloisonner les marchés sont peut-être en train de donner leurs premiers fruits. Parée de couleurs bollywodiennes grâce à la présence de la Mauricienne Meera Mohun, sa chanson Mon cœur épris s’inscrit également dans un courant très en vogue à La Réunion.
Depuis le début 2005, les émissions consacrées par RFO (Réseau France outre-mer) à la musique des films indiens ont généré et entretenu une véritable mode. Jusque dans le rap-ragga, à l’image de Dosti et La la la, signés par deux artistes qui font partie des meilleures ventes de l’année, Benjam et Atep. Ce dernier a même été repéré par une major du disque qui a timidement tenté de lancer l’artiste en métropole. En vain.
Le vent du zouk love venu des Antilles, qui s’était étrangement mis à souffler au milieu des années 90 en plein océan Indien, a été remplacé par le ragga dont la jeunesse réunionnaise est très friande. Originaire lui-aussi des Caraïbes, ce genre musical s’est adapté à son nouvel environnement pour devenir une “musique soleil”, légère. Quitte à tomber parfois dans une facilité aussi drôle que pathétique. Dans ce registre, String Color excelle. Après son tube de 2004 Ragga string ("Kafrine, quelle est la couleur de ton string ?") qui l’a amené dans le giron de la maison de disques Universal, le groupe a connu une belle réussite avec La Ficelle puis Chou à la crème, qui rivalisent de métaphores plus potaches les unes que les autres...
Diversité musicale
L’ouverture au monde de La Réunion, à travers la mondialisation et l’essor d’Internet, se ressent jusque dans la musique. "La diversité musicale ne cesse de s’affirmer", fait observer Alain Courbis, à la tête du Pôle régional des musiques actuelles (PRMA), une structure qui oeuvre au développement des musiques de l’île. Le reggae, le rock, le jazz et depuis peu l’électro ont été adoptés par de nombreuses formations, mais les styles traditionnels demeurent d’incontournables sources d’inspiration.
Entre le maloya, blues de l’esclavage aux origines culturelles afro-malgaches, et le sega, produit d’un métissage dansant avec les styles européens d’autrefois, le rapport de forces s’est inversé depuis 1981. Durant des décennies, le sega a régné en maître. Suspecté par les autorités politiques de véhiculer les revendications identitaires du Parti communiste réunionnais, le maloya se pratiquait dans la clandestinité. Dès qu’il a retrouvé droit de cité, il a tout à coup été érigé en symbole musical de la réunionnité. "Le musicien qui n’en faisait pas passait presque pour un traître !", raconte Alain Courbis. L’engouement ne s’est jamais démenti.
En 2004-2005, en l’espace de huit mois, le monde du maloya a perdu trois de ses aînés :le Rwa Kaf, Granmoun Lélé et Granmoun Bébé. Une génération qui sert de référence est en train de disparaître. La relève est là : Destyn, Kiltir, El Diablo Melanz Nasyon… Moins revendicative, elle essaie de donner à ses prestations une dimension spectaculaire comme le faisait Granmoun Lélé afin de supprimer cette impression de monotonie qu’elle dégage. Avec leur répertoire, ces jeunes artistes cherchent à projeter le maloya dans les musiques du monde pour lui donner une plus grande visibilité sur le circuit international. Apporter un peu de sang neuf sans dénaturer la tradition, c’est là que réside toute la difficulté de cette alchimie.
Bertrand Lavaine